Un spectateur parmi d’autres : Herman Asselberghs

VERTAALD DOOR TRANSLATED BY TRADUIT PAR Margaux Dauby

Dans « Un spectateur parmi d’autres », Herman Asselberghs et Gerard-Jan Claes invitent par email toutes sortes de passionnés du cinéma à évoquer en détails leur pratique de spectateur. Cinéastes, artistes, critiques, chercheurs, auteurs, programmateurs, spectateurs en salles, fans de télévision, netflixeurs, youtubeurs, utilisateurs de torrents... Quels sont les us et coutumes, règles et interdictions, lieux et tendances qui dessinent leur pratique de spectateur ? Quelle place le fait de regarder des films occupe-t-il, dans leur vie professionnelle et personnelle ? La salle de cinéma fait-elle (encore) partie de leur relation au cinéma ? Il s’agit ici d’un regard introspectif sur le fait d’être spectateur, en tant qu'activité et attitude, en tant que pratique infatigable consistant à regarder, écouter, lire, sentir, faire et penser ; le spectateur est ici l’auteur d’une histoire singulière, dans un style personnel, avec un vocabulaire et un usage des accents et de la ponctuation propres. Mais il reste avant tout un spectateur parmi d’autres.

Spectateurs professionnels ou du dimanche, rares ou en grand nombre, spectateurs toujours et spectateurs partout, spectateurs légaux ou illégaux, modèles, sociaux, solitaires, solidaires, distraits, enchantés, jeunes spectateurs, spectateurs adultes, spectateurs en cachette, observateurs, qui regardent en biais, voient les choses en noir ou qui épient. Jamais on n’a eu autant d’occasions de façonner sa propre pratique de spectateur, de regarder des films, à tout instant et partout, dans toutes les positions et proportions possibles et imaginables. On regarde des films de façon atomisée. De façon fragmentée mais pas forcément erratique. On regarde peut-être les mêmes films, mais pas forcément en même temps. Le spectateur fait désormais partie du paysage en rue : à l’arrêt de métro, un passant éclate de rire en regardant je-ne-sais-quoi sur son smartphone. Un autre, assis sur un banc, s’attendrit face au dénouement d’une vieille comédie romantique ou s’enthousiasme du trailer du prochain film de super-héros. Notre vie sociale est rythmée par d’(impérieuses) questions, de (prudentes) recommandations et des jugements (fermes) à propos de l’offre de films : « T’as vu ci ? T’as vu ça ? Checke ça ! Tu dois voir ça ! Overrated ! » Avec tout le plaisir que cela génère, mais également le stress du choix, son excès ou abstinence. « Un spectateur parmi d’autres » tente de voir clair à partir d’une simple observation : on regarde des films. Et puis les questions jaillissent : comment, quoi, où, pourquoi ?

La série commence avec Herman Asselberghs comme cobaye. Herman réalise des films, écrit sur le cinéma, enseigne le cinéma à LUCA Bruxelles et fait partie de la plateforme de production et de distribution Auguste Orts. Il vit et travaille à Bruxelles.

(1) Friends (David Crane & Marta Kauffman, 1994-2004)(2) Friends (David Crane & Marta Kauffman, 1994-2004)

Gerard-Jan Claes :  Quand es-tu allé au cinéma pour la dernière fois ?

Herman Asselberghs :  Début mars, je dirais. Je ne me rappelle vraiment pas quel film j’ai vu. Martin Eden au Palace peut-être ? Peu avant le lockdown, j’ai vu Miroir Seb! Fragile et Euphoria à l’exposition 23 Quai du Commerce, 1080/1000 Bruxelles à ARGOS. Et Projection Instructions, lors de la présentation du livre d’Anouk De Clercq à la CINEMATEK. Et si les projections intégrales dans mes cours d’analyse de film juste avant la fermeture de l’école comptent, Chronique d’un été, Riddles of the Sphinx et Lemonade font également partie de la liste.

Quels films, séries et autres œuvres audiovisuelles as-tu vus depuis ? 

Je devrais mieux prendre note, car j’ai toujours du mal à me souvenir de ce que j’ai regardé récemment. Je serais tenté de dire, dans le désordre : Dark Waters, Mon oncle d'Amérique, Richard Jewell, La chatte à deux têtes, I Can’t Go Back to Yesterday, Numéro deux, When Harry Met Sally, General Report I & II, Juste un Mouvement, Mrs. America, I May Destroy You. Sur différentes plateformes : en streaming via MUBI, Netflix, Proximus, Popcorn-Time, UbuWeb ou sur DVD ; sur différents écrans : sur une smart-tv ou sur un ordinateur portable.

La question de quels films j’ai vus récemment est étroitement liée à celle des films que j’ai ratés et que je voudrais absolument voir. Il y en a quelques-uns : An Elephant Sitting Still, Liberty: An Ephemeral Statute, Muidhond, Parasite, Terminator: Dark Fate, Portrait de la jeune fille en feu, Marriage Story, Wasp Network... Et puis il y a trois événements cinématographiques que j’attendais vraiment avec impatience : le festival Courtisane (avec notamment Kevin Jerome Everson), l’exposition Downtime de Manon De Boer au Musée Gulbenkian de Lisbonne et la première belge de Victoria de Sofie Benoot, Isabelle Tollenaere et Liesbeth De Ceulaer à Docville.

As-tu un endroit ou un contexte préféré pour regarder des films ?

Depuis des années maintenant, ma consommation de films se fait principalement sur des écrans de télévision et d’ordinateurs portables. Mais je reste un spectateur de cinéma old school qui vit les projections plus intensément sur grand écran et qui considère ses visites au cinéma comme inextricablement liées au centre-ville. J’aime aller au cinéma tout seul. Pour moi, ça veut dire beaucoup plus que seulement voir le film. Il s’agit de maîtriser mon temps et mon trajet. Sans plan préconçu. N’ayant en tête que l’heure de début du film, ma déambulation jusqu’au cinéma peut fort bien me mener à une librairie ou un café. Et en quittant la salle, le même scénario plus ou moins imprévisible peut se dérouler. « Aller au cinéma » contient pour moi cette relation entre l’heure exacte du début, la durée précise de la projection et le temps indéfini avant et après. Mais le scénario inverse est tout aussi possible : je quitte chez moi à vélo pour un trajet chronométré avec précision, j’entre dans la salle juste à temps, et je rentre chez moi immédiatement après. Même dans ce cas d’une utilisation plus fonctionnelle du cinéma, le centre-ville constitue une toile de fond importante pour un trajet d’expectatives et d’épanouissement. Je n’imagine tout simplement pas conduire jusqu’à un multiplex le long du ring pour voir un film.

Il m’arrive d’aller au cinéma pour m’abandonner entièrement à l'écran, au faisceau de lumière, au son spatial, à la salle. Fallait-il absolument que je voie Les misérables ? Non. Est-ce que je ne raterais It Must Be Heaven pour rien au monde ? Pas vraiment. Martin Eden était-il en tête de ma liste ? Pas du tout. Pourtant, il s’agit de trois films que j’ai vus l’un après l’autres il y a quelque temps au cinéma Palace, sans l’avoir prévu. De sept heures environ à minuit passé. Les heures de projection permettaient de passer devant la caisse sans trop longue pause et de reprendre aussitôt place dans la salle. Ces trois films sont toujours vivants dans mon esprit, ce qui est loin d’être le cas de tous ceux que je regarde, avec intérêt pourtant, sur un écran de télévision ou d'ordinateur.

Comment s’articule cet amour pour le lieu du cinéma avec le fait de voir des films dans d’autres endroits et contextes ? 

J’ai remarqué que je transposais certaines des règles du dispositif du cinéma, lorsque je regarde des films sur un ordinateur portable. Je choisis le film à l’avance. Je ne commence pas à regarder un film si je sais que je ne pourrai pas le terminer. Je préfère les heures du soir, quand il fait calme et que je peux éteindre les lampes. J’utilise rarement des écouteurs ou un casque. Je m’assieds bien droit. Ça ne veut pas dire que je ne vais pas m’affaisser, mettre pause, aller chercher quelque chose dans le frigo ou checker mes mails à un moment. Je ne fais aucun effort actif pour imiter à la maison le dispositif de la salle cinéma : le home cinéma ou même la projection au mur me sont par exemple étrangers. Mais mon comportement de spectateur à domicile révèle sans aucun doute des traces d’habitudes obstinées de la salle de cinéma. C’est vraiment étrange, parce que pendant toutes ces années, j’ai sans doute passé (encore) plus d’heures devant la télévision qu’au cinéma.

Généralement, à quel moment regardes-tu des films ? Préfères-tu certains moments à d’autres ?

Je peux aller au cinéma à n’importe quel moment de la journée. Tant que j’arrive à l'heure. Cela ne te surprendra pas que je veuille voir un film dès le début. Même à la maison, peu importe le moment pour moi. Bien entendu, la semaine de travail et la semaine scolaire dictent leurs lois, aussi les visionnages solitaires et/ou communes ont généralement lieu le soir. Et en ces temps de Corona, le temps de midi ou à minuit s'avère d’ailleurs constituer la règle plutôt que l’exception. Je ne sais pas s’il y a vraiment de plan, en dehors de l'accord concret d'être à l’heure dans la salle ou devant la télévision. Regarder des films est une habitude si bien établie qu’elle se présente sans histoires, que ce soit à l'improviste ou avec un horaire.

Mes deux moments préférés pour entrer et sortir du cinéma, c’est un soir d’automne pluvieux ou un après-midi d’été ensoleillé. Bruxelles, c’est plus que bien, mais Manhattan reste mon lieu de prédilection pour ce rituel : je n’ai jamais rencontré d’expérience cinématographique plus profondément ancrée dans la vie urbaine que dans cet endroit dense, le contraste entre l’intérieur et l’extérieur y est énorme. Ou peut-être justement pas : le fait de s’abandonner face à la projection et celui de se laisser absorber par les évènements en rue y partagent une même intensité. Sortir tard le soir de la CINEMATEK produit aussi souvent des moments magiques : alors que je suis encore grisé par la projection, la Rue Royale déserte me fait immédiatement sentir d’où vient le surréalisme belge.

Il y a des semaines (parfois des mois !) où je ne vais pas au cinéma parce qu’il n’y a pas vraiment de choses en salle qui m’intéressent. Toi, le plaisir que tu éprouves à aller au cinéma semble parfois l’emporter sur film en soi.

Tu as peut-être raison, mon goût pour l’expérience de la salle de cinéma dépasse peut-être mon amour du cinéma. Bien sûr, l’un ne va pas sans l'autre. Et il y a beaucoup de films et de cinéastes qui comptent plus pour moi que le fait d’« aller au cinéma ». Les films m’ont appris à voir le monde différemment, plus distinctement. Et ils le font encore. Mais peut-être que l’expérience de la salle de cinéma m’a saisi au départ et, au fond, à cause de la « machine à attention » que je pense qu’elle est et que je suis venu à vivre plus consciemment en tant que telle avec le temps. À cet égard, mon parcours ne diffère pas de celui de nombreux autres spectateurs de cinéma : l’économie de l’attention d’internet et des médias sociaux nous fait repenser en profondeur les avantages et les inconvénients de la salle de cinéma. 

Je n’envisage pas le fait de regarder des films comme une distraction passive mais comme une activité, comme un exercice naturel de création d’attention. De nombreux arguments valables existent pour défendre une perception critique du cinéma comme simple divertissement, évasion abrutissante, spectacle aliénant, usine à rêves capitaliste ou technologie/industrie/économie dont l’empreinte écologique est problématique. Néanmoins, la faculté de concentration que la situation du cinéma parvient à générer nous permet de penser et ressentir. Ce n’est pas une coïncidence, je pense, si les films qui cherchent les extrêmes (de la pensée ou de la sensation), ou qui parviennent à combiner les deux, m’exaltent et m’intéressent plus que les autres. Je peux ainsi devenir complètement lyrique sur de grands morceaux des essais cinématographiques exigeants et cérébraux comme Lotte in Italia, Bilder der Welt et Riddles of the Sphinx, tout comme sur des courts moments de franchises sensorielles post-cinéma telles que John Wick, Mission Impossible et Avengers. C’est pour cette même raison que je suis également sensible à la tradition du cinéma expérimental, dans lequel les règles classiques de l’intrigue, des personnages et de la longueur calibrée du long-métrage doivent rivaliser, à l’écran, avec l’utilisation de la lumière et du son ou du mouvement « purs ». Flicker et Lapis, par exemple, je pourrais les re-regarder éternellement. Je vais volontiers à la CINEMATEK quand ils sont au programme, comme j’irais à un concert pour écouter la musique live.

Ce penchant pour l’expérience cinématographique en salle, cette « machine à attention » qui te prend pour cible et te saisit en tant que spectateur, est-il lié à certaines habitudes ou routines ?

Pas vraiment, bien que je préfère m’asseoir plus ou moins au milieu de la salle. Ce choix est davantage motivé par mon désir d'entendre la bande sonore dans les meilleures circonstances possibles, plutôt que par une préférence pour une certaine distance ou positionnement par rapport à l’écran. Pour moi, regarder un film, c’est aussi l’écouter. L’expérience du son dans l’espace est pour moi une raison déterminante pour quand même préférer la salle de cinéma à la télévision, à l’ordinateur portable ou au smartphone.

Peut-on dire que l’expérience du cinéma en salle occupe toujours une place importante dans ta vie, ainsi que dans la société en général ? Et qu’il n’est nullement question de se cramponner à une expérience qui appartient en grande partie au passé ?

 « L’expérience du cinéma en salle » n’existe pas plus que «&nbsple cinéma ». On pourrait discuter du minimum absolu nécessaire pour parler d’expérience de « cinéma » : la taille minimum de l’écran ? L’obscurité plus ou moins absolue ? La taille de la salle ? Des sièges confortables ? Ce qui est sûr, c’est qu’entre une société cotée en bourse comme Kinepolis et un lieu géré collectivement comme le cinéma Nova, entre une institution culturelle comme la CINEMATEK ou des projets de cinéma alternatif et des initiatives de projection comme PleinOPENair à Bruxelles ou Monokino à Ostende, il y a un monde de différence. Une différence qui ne s’exprime pas seulement en termes de projection qualitative et de conception optimale de la salle, mais qui, dans le premier cas, tourne autour de la construction de communautés durables. En ce sens, je suis un consommateur inadéquat des cinémas mainstream, et un mauvais client : les rafraîchissements ne sont pas pour moi, ni les formules d’abonnement, et je ne regarde la publicité que d’un œil distrait.

Ces dernières années, dans mes cours d’analyse de film, j’accorde de plus en plus d'attention à l’expérience du cinéma en salle et à la différence avec l’utilisation de l’écran dans d’autres environnements et à travers d'autres systèmes et formats. Cela s’est révélé être une approche judicieuse pour aborder les questions claires et les préoccupations sous-jacentes des jeunes/des cinéastes en devenir. La question de l’attention, de la dispersion, du stress du choix, de l’offre excédentaire, du mainstream, des marges, du phénomène de mode, du canon, de la construction de la communauté, de l’hégémonie, de l’opposition : voilà des sujets qui affluent automatiquement lorsque l’on questionne l’évidence d’aller au cinéma. Pour moi aussi, aller au cinéma ne va plus toujours de soi. Tout comme toi, il m’arrive de ne pas y mettre les pieds pendant des semaines. 

Donner cours à l’école de cinéma, c’est un peu comme rester longtemps en première ligne d’une culture visuelle en évolution constante. En contact direct avec des vagues toujours nouvelles de jeunes gens qui, jour après jour, pensent et cherchent intensivement autour des images en mouvement, je suis au premier rang pour prendre le pouls des nouvelles habitudes et coutumes, des nouvelles possibilités et difficultés. À l’instar des spectateurs en général, les étudiants en cinéma ne vont plus nécessairement au cinéma de façon fréquente ou régulière. Mais ils voient plus de films que jamais. Loin de moi des conclusions hâtives et généralisées : moins de cent étudiants par année universitaire ne me semble pas constituer un échantillon fiable. Mais j’ose établir un seul constat : il n’y a plus de culture cinématographique commune. Au début de l’année, dans ma classe de 35 élèves, impossible de nommer un seul film récent que tout le monde ait vu. Voilà de quoi surprendre même l’adolescent le plus atomisé, et peut-être lui faire tendre l’oreille lorsqu’est évoquée l’idée de vivre ensemble la durée, le lieu et le monde d’une projection.

(3) Numéro deux (Jean-Luc Godard, 1975)(4) Numéro deux (Jean-Luc Godard, 1975)

Quelle est pour toi l‘importance de ce « seul » dans l’expérience ? La séance au cinéma pour toi me semble être davantage une affaire solitaire qu’une réunion sociale.

Je ne dis jamais non à l’idée d’aller au cinéma avec quelqu’un. Mais j’aime aller seul au cinéma et je n’y vais que rarement, voire jamais, avec des amis, exception faite de ma partenaire ou mon fils. Et lors de projections ponctuelles, par exemple à la CINEMATEK, au cinéma Nova ou à BOZAR, où je tombe, souvent et avec plaisir, sur des amis et connaissances.

Pourquoi aller seul au cinéma ? Tout cela me semble basé sur la belle formule « seuls ensemble ». Quand j’entre seul dans une salle, j’ai la sensation que la notion d’ « ensemble » entre davantage en vigueur. Ou pas du tout, si je n’aime vraiment pas le film alors que le public est enthousiaste. À deux (ou plus), un autre « ensemble » prend forme au préalable, depuis le rendez-vous à l’entrée jusqu’au début de la projection proprement dite, et après la séance, de retour en rue. En compagnie, il s’agit d'une relation moins exclusive avec l’entièreté de l’événement cinématographique.

Cela vaut-il aussi pour les séances à la maison ? Ou d’autres habitudes s’appliquent-elles dans ce cadre ?

Regarder à la maison signifie souvent regarder ensemble et donc se concerter. Avant, après, pendant. J’adore négocier le choix, j’aime même le stress du choix qu’un menu comme Netflix ou Popcorn-Time peut apporter de nos jours. J’aime les discussions après le film, même si les différences d’opinions peuvent déplaire. Je préfère regarder un film collectivement devant le téléviseur (connecté à l’ordinateur ou non) où l'interaction avec l’écran et entre nous s’impose. Même s’il faut intimer les autres à se taire au moment du film que l’on ne veut pas perdre d’une seconde. Les interruptions sont généralement réduites au minimum, mais elles sont inévitables. D’ailleurs, le téléviseur ne s’allume que lorsque l’un de nous veut regarder quelque chose. Puis il s’éteint à nouveau. Sauf tard dans la nuit, quand le zapping intensif m’aide à me vider l’esprit. Et me permet de me tenir au courant du flux d’images actuel.

Comment se déroulent les négociations à propos des films et des séries ? Comment déterminez-vous ce que vous allez regarder ensemble ?

Chez nous, mon partenaire Agna, et notre fils adolescent Kobe et moi avons chacun notre programme en cours, mais nous trouvons facilement des terrains d’entente. L’habitude très fréquente de regarder un film tous les trois a duré très longtemps. Les négociations nécessaires pour parvenir à un accord font toujours partie intégrante de notre vie de famille, mais c’est désormais particulièrement difficile de convaincre un jeune de 18 ans de participer à des séances de film collectives. Il a manifestement des goûts et un programme personnel très amples. J’ai quand même fini Mad Men avec lui pendant le confinement. Maintenant, nous sommes occupés (ça fait déjà un moment) avec Naruto et Naruto Shippuden. On parle de commencer Breaking Bad ensemble. Ou de regarder The Wolf of Wall Street pour la énième fois, ou encore son excellente sélection de South Park ou de Rick et Morty. Notre meilleur souvenir, à Agna, (Kobe) et moi reste d’avoir parcouru Friends ensemble plusieurs fois au fil des ans et de l'avoir vu grandir (y compris littéralement) dans sa « lecture » de celui-ci.

Pendant des années (malgré la pression obstinée d’Agna et de Kobe), j’ai mis mon véto à un deuxième téléviseur au rez-de-chaussée, précisément pour éviter de le regarder séparément. J’ai assez bien réussi (et c’est surprenant), jusqu’à récemment : avec les longues sessions « sociales » de gaming de Kobe pendant le confinement, Agna et moi sommes finalement descendus d’une étage pour utiliser un deuxième téléviseur. Un appareil qui, soit dit en passant, est passé, après la mort de mon père il y presque deux ans, de sa chambre dans sa maison de repos à celle de Kobe. Ça reste dans la famille ! C’est assez significatif que Kobe ait à peine et uniquement utilisé l’appareil comme écran de gaming pendant tout ce temps. Apparemment, il préférait les séances collectives à l’étage. Ou bien elles constituaient pour lui une heureuse alternative aux nombreuses heures de smartphone au lit.

Des négociations ont également eu lieu avec Agna au cours du dernier quart de siècle, et les critères sont clairs depuis longtemps : chez elle, elle veut rarement voir des films de fiction qui se terminent mal et veut savoir à l’avance de quoi il s’agit, elle rafolle du binge watching et souhaite une part équitable d’information et actualités. Ainsi, quand elle n’est pas en train de dévorer un bouquin ou l’autre, nous regardons ensemble des documentaires (Once Upon a Time in Iraq!), des séries policières britanniques et américaines (je suis absent pour les produits scandinaves), des produits de qualité de la BBC (A Very English Scandal!) et des longs métrages de toutes sortes à la télévision (tout récemment The Trial) et parfois au cinéma (où les films peuvent avoir des fins tristes). En d’autres termes, pour moi, deux chemins équivalents et parallèles évoluent régulièrement ensemble, sinon toujours : le contexte familial dans des formations changeantes avec des programmes amples, facilement compatibles, et ma propre trajectoire de spectateur qui couvre un terrain plus spécialisé.

Comment arrives-tu aux films que tu regardes ? Qui et qu’est-ce qui détermine tes choix ?

Très concrètement : je suis le paysage tout d’abord en lisant. Je lis quotidiennement dans The Guardian, et pas seulement la section cinéma. J’ai un abonnement au New Yorker depuis l’année dernière et j’achète de temps en temps Les Inrockuptibles. Grâce à l’excellente bibliothèque de l’école, je lis régulièrement Sight & Sound, Cahiers du Cinéma, Film Comment, Film Quarterly, Artforum, Aperture. En ligne, j’essaie de suivre +927, Mo Magazine, DeWereldMorgen, rekto:verso, e-flux journal et Sabzian. Je consulte les pages d’accueil de MUBI (abonnement scolaire gratuit) et de Netflix (abonnement Premium) et je checke presque tous les jours les horaires de diffusion des chaînes de télévision, principalement britanniques, en vue d’un enregistrement sélectif et d’un visionnage en différé (via un abonnement Proximus qui a urgemment besoin d’être revisonné). Je ne suis pas le circuit des festivals, donc je récupère les « films de festival » quand/si jamais ils finissent au cinéma, en DVD ou en streaming, ou pas. Je garde un œil sur la programmation des films de la CINEMATEK, de Courtisane, du Beursschouwburg, de BOZAR et du Nova. Et puis, j’oublie souvent d’y aller. Je prends les recommandations très à cœur : rarement celles des critiques de cinéma, (presque) toujours celles de mes proches, d’amis, d’étudiants et de collègues du domaine audiovisuel.

Dirais-tu que tu es un « spectateur professionnel » averti ?

Après toutes ces années, je trouve quand même un peu mon chemin dans le paysage, hein ? Si je regarde un film aujourd’hui, l’accumulation est inévitable. L’accumulation d’expériences de visionnage, de compétences de visionnage, d’acquisition de connaissances, y compris d’innombrables angles morts et trous noirs, ne fait pas de moi un spectateur innocent. Néanmoins, en règle générale, je veux en savoir à l’avance le moins possible sur un film. Une grande partie de mon plaisir de cinéma réside dans la rencontre avec le film, même si elle s’avère être une collision ou une lutte. Je ne lis presque jamais les critiques à l’avance. Après avoir vu le film, et quand il me plaît ou m’intéresse, j’aime lire des articles de fond et des conversations avec le réalisateur ou d’autres collaborateurs. Je ne lis jamais les commentaires d’utilisateurs. Je ne lis pas assez les blogs. Je ne peux pas dire que je suis le travail des critiques établis, mais je suis toujours intéressé par l’approche et le point de vue de Ginette Vincendeau, Erika Balsom, Nicole Brenez, Masha Tupitsyn, David Thomson et d’autres. Je suis toujours d’accord pour détricoter un film en en discutant. Et, bien sûr, l’enseignement est une excellente façon d’approfondir un film et d’en parler.

J’envisage le spectateur professionnel plutôt comme quelqu’un qui vit du fait de rendre compte de ce qu’il regarde. Qui est donc payé pour regarder efficacement. Je n’appartiens pas (plus) à cette catégorie. Ou du moins, pas dans un sens purement instrumental. Cela fait vingt ans que je n’ai pas écrit sur le cinéma à la demande, sur commande ou pour gagner ma vie. Je n’ai pas besoin de passer en revue les soumissions à un festival ou de scruter le paysage avec l’œil d’un curateur. La plate-forme de production d’Auguste Orts fonctionne sur une base non commerciale. Personne ne me dit ce que je dois enseigner à l’école de cinéma. Mes recherches universitaires sont de nature artistique. Peut-être que c’est cela : j’associe le visionnage fonctionnel à une activité professionnelle ou de loisir dans laquelle la personne n’aime pas avoir le sentiment d’avoir mal utilisé son temps de travail et/ou un temps libre précieux. En tant que prototype du travailleur culturel du début du XXIe siècle, mon travail immatériel et ma détente se confondent. De ce point de vue, je suis bien sûr le spectateur professionnel rêvé : j’ai rarement le sentiment de travailler quand je regarde un film de façon non rémunérée. Pour le dire avec une boutade un peu démodée : mon hobby est mon travail et vice versa. Il n’y a pas que dans le monde de la culture et de l’éducation que cette attitude passionnée à l’époque des politiques d’austérité néolibérales est sujette au pillage et à l’exploitation. Heureusement pour moi, j’occupe une position privilégiée : mon âge m’a permis d’échapper à des contrats précaires dans l’enseignement. À cet égard, et à bien d'autres, j’appartiens sans aucun doute au siècle dernier : quand on pouvait se lancer dans un parcours plus ou moins sûr. 

Tu me donnes l’impression d’être un spectateur très concentré et actif. Tu prends le temps de regarder des films, tu ne cherches pas à tuer le temps.

Si « spectateur pluriel et sélectif » existe comme catégorie, tu peux m’y glisser sans hésiter. Je me sens rarement appelé à regarder quelque chose qui ne m’intéresse que modérément voire pas du tout. Je passe donc à côté de beaucoup de films très bien classés dans les listes de fin d'année. Je pense que c’est la curiosité qui guide mes choix. Je ne sais pas toujours à l’avance ce que j’aime. Je sais généralement ce que je n’aime pas. Agna et Kobe savent qu’un film se déroulant à l’époque actuelle gagne des points chez moi face à un drame historique ou une histoire fantastique. Ou que je ne veux pas voir de films avec Morgan Freeman, Liam Neeson ni Jan Decleir.

Les règles sont là pour être enfreintes : il n’y a pas si longtemps, mon fils m’a appris à regarder tout le cycle Tolkien/Jackson, j’ai vu Seven plusieurs fois de toute façon, et j’ai été fasciné par la série de films d’action de Jaume Collet-Serra. Mais Decleir, jamais. Juste pour dire : mon champ d’intérêt est mouvant et changeant. C’est peut-être le résultat de mon caractère à la fois curieux et impatient. Puisque je regarde des films facilement, et que consommer des images en mouvement ressemble rarement à un devoir, le dilemme entre regarder ou ne pas regarder se pose en fait rarement en amont. Je regarde simplement le film. Et puis surgit alors la vraie difficulté : de quelle quantité de patience et de générosité puis-je faire preuve en regardant ? Cela pourrait surprendre. Je peux être très catégorique dans mon rejet. A la maison, ils parlent carrément de mes nombreux préjugés (les séries criminelles scandinaves ne sont apparemment que la pointe visible de l’iceberg). Mais pour moi, c’est plutôt une question de plaisir : dès que j’arrête de m’amuser de regarder, je me lève, j’éteins l’appareil, ferme l’ordinateur portable. Ou alors je ne commence simplement pas le film. 

Cela explique-t-il aussi la nature éclectique et généreuse de ta pratique de spectateur ? Il est difficile de « délimiter » l’ensemble de films et série que tu as vus.

Je pense qu'il y a un groupe de raisons assorties à chaque film que je regarde. Prenons par exemple Kommunisten, que j’ai vu pour la première fois il y a quelque temps sur MUBI. Je m’intéresse à la façon dont un cinéaste revisite et redéploie du matériel existant. Dans ce cas, Jean-Marie Straub utilise des fragments de ses propres films comme du found footage. Il assemble des morceaux substantiels de films réalisés par la regrettée Danièle Huillet et lui. Je vois cela comme une forme de curation de son œuvre, de son back catalogue. Très différente de la méthode de réutilisation dans l’œuvre de Duras – qui me fascine : elle a l’habitude de faire circuler ses personnages, ses décors et ses histoires entre les livres et les films. Mais bien sûr, le fait de regarder Kommunisten, en tant que passionné de Straub-Huillet, était également motivé par ma curiosité de la production de Straub après la mort de son inséparable partenaire. Et je voulais aussi savoir si ce cinéma strict tiendrait le coup sur un ordinateur portable. Et ce n’est pas si mal, je pense. Derrière chaque film que je regarde, se cachent sans aucun doute un tel faisceau de motivations.

Un exemple plus récent que j’ai partagé avec enthousiasme avec des amis et des connaissances est le pack qu’Agna et moi avons savouré en un seul week-end en streaming : The Equalizer 2, Extraction et 6 Underground. Tous les deux, nous adorons le parcours de Denzel Washington et les films d’action américains. En plus, j’étais curieux de connaître les débuts en tant que réalisateur des cascadeurs les plus remarquables du moment (leurs concurrents directs ont fait mieux avec Atomic Blonde, je trouve) et de l’état de l’univers de Michael Bay (toujours aussi étonnant dans sa forme et répugnant dans sa vision du monde). 

Une raison moins compliquée et tout aussi agréable est souvent de vouloir regarder un film ensemble à la maison. Ou le désir de se rendre au cinéma. 

Peut-on quand même établir certains noms fixes qui te guident ou t’orientent dans tes choix ?

Oui, je suis en général fidèle au parcours d’un cinéaste, parfois d’un acteur ou d’une actrice, d’un caméraman ou d’un producteur. Sans doute un vestige de mon éducation cinématographique à la CINEMATEK (qui s’appelait alors Musée du Cinéma) et De Andere Film, où dans les années 80, lors de rétrospectives, j’ai fait intensément connaissance avec les œuvres complètes de Minelli, Visconti, Fuller, Schroeter, Welles, Duras, Debord, Bresson, Fassbinder, Anger... Je retrouve cette plongée dans l’univers d’une œuvre achevée, lorsque je suis un répertoire en cours, qui se constitue sous mes yeux avec le temps. Ainsi, les films de Claire Denis, Todd Haynes, Woody Allen, Olivier Assayas, Jean-Luc Godard, ont sans aucun doute accompagné mes dernières décennies. Le parcours raccourci de Derek Jarman sera là pour toujours. Et je suis très curieux de l'évolution de parcours plus récents que je suis de près, comme ceux de Kelly Reichardt, Ira Sachs, Bertrand Bonello, Mia Hansen-Løve, Bas Devos, Jordan Peele, Ava DuVernay, Eduardo Williams, Judd Apatow, Mati Diop et, oui, Gerard-Jan Claes et Olivia Rochette. Perdre de vue ou renoncer à une trajectoire, avoir une révélation soudaine qui s’avère ensuite être une erreur en y regardant de plus près, un rejet qui des années plus tard se révèle être une erreur incompréhensible, une découverte qui peut être le début d’une nouvelle trajectoire, la morsure dans une horreur profonde (c’est pourquoi je ne rate pas un seul Von Trier) : ce sont là des variations tout aussi cruciales de mes excavations en terrains familiers ou en de nouvelles zones au pays du cinéma.

(5) When Harry Met Sally (Rob Reiner, 1989)(6) When Harry Met Sally (Rob Reiner, 1989)

Y a-t-il d'autres critères de sélection pour cette collection bariolée des films que tu as vus ?

Je crains qu’il n’y ait pas grand-chose de systémique dans mes choix. Il s’agit de routines singulières, d’habitudes profondément enracinées et de processus inconscients, souvent plus clairement lisibles pour les autres que pour moi-même, j’en ai peur. Comme tout le monde, j’ai mes cinéastes préférés, mes genres (crime, science-fiction, comédie, comédies musicales, horreur et tout ce qui échappe aux genres délimités) et mes périodes (dernièrement surtout celle de la fin des années 60 jusqu’au milieu des années 70). Mais cette vaste liste est en évolution constante. Je suis toujours curieux de connaître les nouveaux films, noms, styles, idées, pratiques. Je ne me suis replongé dans les vieux classiques qu’occasionnellement ces dernières années, le plus souvent dans un contexte d’enseignement (City Lights apporte une réponse fascinante, et j’aimerais beaucoup essayer Greed). Tout ce qui complète, réécrit et corrige les canons, peut compter sur mon intérêt. Tout comme la riche tradition de délirante exubérance (Jack Smith, Werner Schroeter, John Waters, Gaspard Noë, Jim Carrey, Tilda Swinton, Vincent Gallo et d’autres tempéraments sauvages similaires). Je ne suis pas plus systématiquement l’offre cinématographique belge/flamande/wallonne que celle des Britanniques, Taïwanais, Australiens, Macédoniens ou Colombiens : le cinéma national n’est pas une catégorie qui m’emballe. 

Une tradition qui s’est dessinée au film du temps dans mes propres goûts, me permet aujourd’hui de faire des choix libres à partir de l’offre excédentaire, et d’adresser un oui franc ou un non ferme à un film. La capacité de trier et de tamiser est aussi celle de tenir à distance, de repousser, d’oublier et carrément de rejeter. Roland Barthes dans les règles, bien sûr. Je me souviens de sa belle énumération dans son Roland Barthes par Roland Barthes : « J’aime, je n’aime pas ». Ou de la version étendue de John Waters dans Crackpot : « 101 Things I Hate » et « 101 Things I Love ». Avec un certain sens de l’exagération, j’oserais dire que les films de ma récente récolte font partie d’un régime alimentaire personnalisé, cohérent et basé sur le hasard. Un régime alimentaire que je choisis et m’impose à moi-même. Ce n’est nullement une autoflagellation spartiate, mais plutôt une sorte de confession attentive d'une méthode de sélection sauvage et amusée parmi l’offre. Quand je pense à « régime », je ne pense pas en premier lieu à un système normatif imposé, mais à une manière consciente de gérer les choses, à une politique de préceptes durables basée sur l’abstinence sélective. L’extension des films que j’ai vus peut donner l’impression que je cède à toute la nourriture filmique et suis incapable de dire « non ». Au contraire : comme tout autre spectateur au milieu d’une offre excédentaire invisible, je rejette plus souvent que je n’embrasse.

On dirait que tu te concentres sur le choix. Cela pourrait donner l’impression que tu regardes des films de façon détachée et émancipée, que tu es ton propre curateur autonome, en dehors des catégories et des stipulations d’autrui, comme un spectateur « sans sa propre signature ».

Je ne veux pas donner la fausse impression d’un spectateur libre et franc, autonome. Rien n’est moins vrai : mes choix sont influencés et déterminés par de nombreux facteurs, personnes, canaux et systèmes. Mes goûts ne tombent pas du ciel. Je regarde, pense, ressens, parle et écris dans une perspective spécifique et limitée. Mes connaissances sont situées quelque part (ni nulle part, ni partout), localisées, incarnées et donc marquées et partielles (au lieu d'être neutres ou universelles). En ce sens, la liste de films éclectique ci-dessus est le résultat de ma biographie en cours, qui a été et est formée par un mélange d'origine, de classe, de race, de sexe, d’histoire, de géopolitique.

Dans quels films tes fascinations singulières et tes habitudes de visionnement se rejoignent-elles ? Peux-tu en nommer quelques-uns ? 

Il est donc clair que mes intérêts, préférences et fascinations au cinéma rayonnent dans toutes les directions. Dresser une liste exhaustive d’œuvres me demanderait un effort, littéralement. J’espère qu’une liste incomplète des ingrédients du cinéma qui peuvent séduire mon œil et mon oreille suffira. Dans n’importe quel ordre : que ce soit hyper-contemporain ou complètement dépassé, réalisé de façon virtuose ou sans aucune habileté, qu’il y ait une forte présence de corps ou au contraire des images dénuées de présences humaines, une maîtrise du mainstream ou un rejet radical de celui-ci, que ce soit sensoriel ou cérébral, frénétique ou hypothermique, très rapide ou très lent, très court ou très long, avec de la musique assourdissante ou sans son, avec de savoureux dialogues ou des bégaiements, de l’ambition extrême ou une totale absence de zèle, de la mélancolie ou de l’hystérie, du baroque ou du minimalisme, de l’exagération ou au degré zéro... En bref, je suis fasciné par les extrêmes. Les films entre deux eaux m’ennuient très vite. Et j’ai une préférence absolue pour l’alternance, la juxtaposition et la superposition apparemment paradoxales des extrêmes au sein d’un même film. Je ne citerai que quelques œuvres : la sensualité du strict film Le diable probablement, le formalisme exubérant de Hotel Monterey, le silence assourdissant de Sleep, la vieillesse juvénile de Film Socialisme, le vide rempli de Blue, le sérieux campy de Superstar, la provocation poétique de Le camion, l’américanisme européen de The Apartment, l’européanisme américain de American Gigolo, l’iconoclasme philosophique de In girum imus nocte ecce et consumimur igni, …

Il me semble que dans ton propre travail cinématographique, dans tes écrits et dans tes conversations, la contemporanéité prend une place cruciale pour ta façon d’appréhender le cinéma et que cela pourrait même être un critère de sélection, est-ce juste ?

La contemporanéité me tient en effet à cœur. Pas dans le sens d’être à la mode ou branché. L’engouement du moment ou la question de ce qui est à la mode ou pas, est le moindre de mes soucis. Mais la question de la contemporanéité me fascine énormément. Qu’est-ce qu’appartenir à notre époque veut dire ? Être moderne, qu’est-ce que cela signifie ? À quoi ressemble l’histoire de la modernité ? La modernité a-t-elle un avenir ? Quelles sont les relations possibles entre actualité et histoire ? Outre le plaisir élémentaire que je continue à éprouver en regardant un film, c’est peut-être ce faisceau de significations qui me fascine de plus en plus au cinéma. Comment un film peut-il incarner son époque ? Quand un film est-il daté ? Un film peut-il être en avance sur son temps ? Quels sont le sens et le non-sens de l’histoire du cinéma, de la formation des canons ? Que faire des classiques ? Je pose explicitement ces questions dans mes cours d’analyse de film — aux cinéastes en devenir, pas aux chercheurs en cinéma — et tu as raison de dire qu’ils orientent consciemment et inconsciemment ma pratique de spectateur, et ma pratique du cinéma. Je crains que mes cours ne soient rien d’autre qu’une façon continue de rendre compte de ma pratique de spectateur.

Les mêmes fascinations et préoccupations déterminent une grande partie de mes activités de lecture et d’écoute. J’aime quand un film, un livre, une photo, une chanson essaient de saisir leur époque, de l’exprimer. Et j’adore aussi quand ils essaient de se placer complètement en dehors de leur époque. Tout ce qui se situe entre les deux, n’a pas l’ambition de se relationner à son époque de manière intuitive et/ou raisonnée, ne peut généralement me fasciner que modérément ou pas du tout. Les œuvres qui réussissent, ou qui ne réussissent justement pas, à se tenir dans un seul et même mouvement, à l’intérieur et à l’extérieur de leur temps, reçoivent toute mon attention et me touchent généralement très profondément. D’où mon amour pour le Godard tardif (à partir de la Nouvelle vague), le début de Warhol (surtout Sleep, les Screen Tests, Paul Swan), L’heure d'été et Doubles Vies d'Assayas, Safe et Far From Heaven de Haynes, Hotel Monterey et Letters From Home d’Akerman, Saint Laurent et Nocturama de Bonello, Gruppo di famiglia in un interno de Visconti, mais aussi, comme tu le sais, pour l’œuvre de Kanye West et celle de Wolfgang Tillmans (surtout à partir de Neue Welt). Pour ne citer que quelques exemples.

Es-tu d’accord avec moi lorsque je note chez toi deux façons de regarder des films : un regard engagé et un regard d'étude ? Étant entendu que le plaisir et l’étude s’entremêlent ? Que ton regard critique n’entrave pas ton plaisir de regarder, et vice versa ?

Si par « étude », tu parles d’un regard qui étudie, distant, objectivant ou méthodique : non. Si par contre tu veux dire « pratique », alors oui, complètement. À chaque film que je regarde, je pratique mon regard. Chaque film est l’occasion pour mon regard de s’exercer, malgré tous les manquements, défauts et erreurs que cela entraîne. N’est-ce pas ce que l’on peut appeler la « littératie audiovisuelle » ? La façon dont nous engageons et continuons à développer nos compétences et nos sensibilités afin de pouvoir « lire », faire l’expérience de, comprendre la stratification des images en mouvement ? Personnellement, j’aime souvent les films qui mettent ma boîte à outils à l’épreuve, parviennent à brusquer ou à perturber mon regard : des films indisciplinés, dits « difficiles », qui je suis à la traîne tout en prenant des bonds d’avance. Des films que je ne comprends pas complètement, mais que je saisis tout à fait. Godard est un bon exemple : il fait de moi un spectateur quasi analphabète à chaque nouveau film. Bien que je sois très familier avec son œuvre, son Livre d’image m’a fait trébucher à plusieurs reprises en cours de route. Et j’aime ça. Tout comme j’aime parfois rechercher des genres ou des sous-genres qui ne me disent rien au premier abord, mais dont je veux découvrir les codes et les conventions, le plaisir de regarder donc. 

Ce regard « qui s’entraîne » n’est pas quelque chose que tu réserves au cinéma ou aux films. On dirait que tu poses ce même regard sur chaque œuvre d’art.

La cinéphilie me semble être une des manifestations de la littératie audiovisuelle. Le concept central de « mise en scène » dans la culture de création de l’attention m’a appris que le fait de regarder des films était un exercice répétitif et intensif qui consiste à observer et à écouter des formes, des couleurs, des sons, des textures, des rythmes, des atmosphères, du mouvement. Pour moi, voir des films, c’est bien plus que suivre des histoires en actes et une arène de personnages dotés de back stories. Cette attention implacable pour la forme, observer comment l’œuvre se construit, ce n’est pas du travail académique ou une attitude cérébrale. Au contraire, je comprends ce questionnement de savoir comment et si la machine fonctionne, comme un désenchantement passionné qui intensifie mon regard et augmente l'impact. Je ne réserve pas ce regard « d’étude » à un type de travail particulier. Qu’il s’agisse d’une superproduction, d’un film structuraliste, d’un clip vidéo ou d’une série, mon regard se déploie dans un continu va-et-vient de participation et d’éloignement, de distanciation et d’abandon. Je pense qu’il n’en va pas autrement pour le vrai fan de football ou le passionné de cyclisme. Lui aussi est complètement absorbé, tout en « lisant » et déchiffrant le match ou la course, non ?

Le regard critique fait donc partie de toute expérience de spectateur ?

Je pense que je préfère le regard attentif au regard critique. L’observation et l’écoute en alerte ouvrent un champ complexe de processus d’expériences et de significations. Ce qui ne simplifie pas les choses. Pour moi, le regard critique charrie une idée de réduction : comme si on pouvait voir à travers tout, comme si les écailles nous étaient soudainement tombées des yeux et qu’on en avait désormais fini pour de bon avec l’œuvre. La critique idéologique, la tentative de décoder les intentions des créateurs et de l’œuvre, la compréhension des techniques et des structures, tout ce nécessaire travail de désenchantement ne détruit quand même pas notre réponse sensorielle aux stimulis audiovisuels, cinématographiques, si ? C’est précisément cette oscillation entre prise de distance et implication, entre détachement et immersion, qui me préoccupe en permanence dans le cinéma et l’image en mouvement par extension. Le désenchantement n’équivaut pas à une désillusion. Mon point de vue diffère-t-il de celui d'un architecte ou d'un amateur d’architecture qui regarde chaque bâtiment à travers des lunettes d’architecture ? D’un compositeur, d’un musicien ou d’un mélomane qui décèle la composition, l’harmonie, le rythme dans tous les environnements, même en dehors de la salle de concert ? Pourquoi serait-ce si différent pour un utilisateur attentif d’images en mouvement ? 

Loin de toi, alors, l’idée d’un spectateur « en cachette » ou « coupable », j’imagine ? L’idée de regarder un film que tu ne partagerais pas forcément avec ton environnement mais qui te procure néanmoins un certain plaisir ? 

Je dois te décevoir : l’idée de plaisir coupable est un concept que je ne comprends vraiment pas. De quoi et à l’égard de qui devrais-je me sentir coupable en regardant The Equalizer 2 ? Ce n’est pas de regarder Kommunisten, que je devrais me sentir coupable, hein ? Les plaisirs coupables impliquent apparemment l’existence d’une région sûre et délimitée de films sérieux, de valeur et de qualité, où il fait bon être et dont tu peux parler sans gêne. Et en dehors de ça, il y aurait une zone grise, de pop, futilités, junk, kitsch, je suppose, qu’il vaudrait mieux éviter ou que l’on pénètre à ses risques et périls et d’où l’on ne revient pas avec de belles histoires de voyage. À moins que l’on ne s’excuse ouvertement en plaidant coupable. Je n’ai jamais maîtrisé cette cartographie stricte et son trafic approprié, et je ne veux pas le faire. Je ne me sens pas appelé à demander la permission ou à me justifier après coup d’aller au festival Courtisane et de regarder Special Victims Unit sur la chaîne commerciale Zes.

Je propose d’être inclusif dans ses choix. Je m’explique : je ne plaide pas en faveur d'un compromis, d'une philosophie de vivre et laisser vivre, de la voie vers le juste milieu. Au contraire, une franche déclaration de John Zorn, tirée d’une interview réalisée il y a au moins trente ans, m’est restée en tête (je paraphrase de mémoire) : quiconque écoute du jazz et non de la country est un raciste. Je me retrouve dans cette idée. J’aime le horror vacui de Zorn dans lequel il y a de la place pour tous les styles de musique. La musique à laquelle je reviens toujours est celle de Zorn, de Miles Davis, Bill Laswell, Arto Lindsay, Kip Hanrahan, David Toop, Philippe Katerine (pas Philip Catherine !), Alice Coltrane : une liste quasi infinie de musiciens-compositeurs qui, dans leur parcours, engloutissent et recrachent une multitude de mondes sonores. Je suis un produit de la télévision et de la culture de sampling, du disco et du punk, de l'État-providence et de l'anthropocène. À la maison, c’était les Beatles, Led Zeppelin, Black Sabbath, Edith Piaf, Jim Reeves et Sergio Mendes & Brazil 66 dans les haut-parleurs du meuble stéréo pendant que je regardais avidement les pochettes de disques que mes frères et parents avaient achetées. Je chérissais avec enthousiasme mes propres singles de The Rubettes, Slade et The Sweet. Entre-temps, j'ai appris depuis longtemps (bien avant Velvet Goldmine) que ces groupes pop britanniques étaient des versions édulcorées du glam rock beaucoup plus serré de Bowie, T-Rex et Roxy Music. Dans le débat entre les Beatles et les Stones, je choisis les Beach Boys et Coltrane. Les chanteurs de schlager me laissent froid. J'ai un faible pour le free jazz, la bossa nova et le dub. J'écoute George Michael et Mary Halvorson, The Weeknd et Angel Bat Dawid, Burt Bacharach et Anthony Braxton, Frank Ocean et Frank Sinatra, etc. Comme toi, hein ? Lorsque j’ai entendu pour la première fois l'incorporation de Chic’s Good Times dans Rapper's Delight de Sugarhill Gang à l’âge de 17 ans en 1979, j’ai trouvé cela à la fois évident et excitant. La pluralité, la diversité, le mélange et la collision dans la musique, dans « l’océan sonore » comme le décrit si bien Toop, m’ont toujours été très communs. Pourquoi ne pas étendre la cartographie au cinéma à l’océanographie, à la géologie et à la généalogie, si l’on examine des pratiques de spectateur liquides, stratifiées et enchevêtrées ?

Enfin, est-ce que tu te souviens de ta « première fois » ?

Cela doit être un re-release de Disney, aux Cinéma Eldorado de Malines, au milieu des années soixante. Je me souviens encore de l'ouverture de Dumbo, mais cela aurait pu être aussi La Belle et le Clochard ou Bambi. Je garde en tous cas en mémoire le frisco qu’on pouvait acheter à une vendeuse ambulante pendant la projection.

(7) Naruto (Masashi Kishimoto, 2002-2007(8) Naruto (Masashi Kishimoto, 2002-2007

Liste de titres

Martin Eden (Pietro Marcello, 2019)

Miroir Seb! Fragile (Eitan Efrat & Sirah Foighel Brutmann, 2017)

EUphoria (Black Speaks Back, 2018)

Projection Instructions (Morgan Fisher, 1976)

Chronique d’un été (Jean Rouch & Edgar Morin, 1961)

Riddles of The Sphinx (Peter Wollen & Laura Mulvey, 1977)

Lemonade (Beyoncé & Kahlil Joseph, 2016)

Dark Waters (Todd Haynes, 2019)

Mon oncle d’Amérique (Alain Resnais, 1980)

Richard Jewell (Clint Eastwood, 2019)

La chatte à deux têtes (Jacques Nolot, 2002)

I Can’t Go Back to Yesterday (Liesa Van der Aa, 2020)

Numéro deux (Jean-Luc Godard, 1975)

When Harry Met Sally (Rob Reiner, 1989)

General Report I (Pere Portabella, 1977)

General Report II (Pere Portabella, 2015)

Juste un Mouvement (Vincent Meessen, 2020)

Mrs. America (Davhi Waller, 2020) – 9 episodes

I May Destroy You (Michaella Coel, 2020) – 12 episodes

Da xiang xi di er zuo [An Elephant Sitting Still] (Hu Bo, 2018)

Liberty: An Ephemeral Statute (Rebecca Jane Arthur, 2020)

Muidhond (Patrice Toye, 2019)

Parasite (Bong Joon-ho, 2019)

Terminator: Dark Fate (Tim Miller, 2019)

Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma, 2019)

Marriage Story (Noah Baumbach, 2019)

Wasp Network (Olivier Assayas, 2019)

Victoria (Sofie Benoot, Isabelle Tollenaere & Liesbeth De Ceulaer, 2020)

Les misérables (Ladj Ly, 2019)

It Must Be Heaven (Elia Suleiman, 2019)

Lotte in Italia (Jean-Luc Godard, 1971)

Bilder der Welt und Inschrift des Krieges (Harun Farocki, 1989)

Riddles of the Sphinx (Laura Mulvey & Peter Wollen, 1977)

John Wick (2014-2019) – 3 films

Mission Impossible (1996-2018) – 6 films

Avengers (2012-2019) – 4 films

Flicker (Tony Conrad, 1966)

Lapis (James Whitney, 1966)

Mad Men (Matthew Weiner, 2007-2015) – 92 episodes

Naruto (Masashi Kishimoto, 2002-2007) – 217 episodes

Naruto Shippuden (Masashi Kishimoto, 2007-2017) – 380 episodes

Breaking Bad (Vince Gilligan, 2008-2013) – 62 episodes

The Wolf of Wall Street (Martin Scorsese, 2013)

South Park (Trey Parker & Matt Stone, 1997–) – 307 episodes

Rick and Morty (Justin Roiland & Dan Harmon, 2013-present) – 41 episodes

Friends (David Crane & Marta Kauffman, 1994-2004) – 236 episodes

Once Upon a Time in Iraq (James Bluemel, 2020) – 5 episodes

A Very English Scandal (Stephen Frears, 2018) – 3 episodes

The Trial (Maria Augusta Ramos, 2018)

Seven (David Fincher, 1995)

Unknown (2011), Non-Stop (2014), Run All Night (2015), The Commuter (2018), (Jaume Collet-Serra) – all four with Liam Neeson

Kommunisten (Jean-Marie Straub, 2014)

The Equalizer 2 (Antoine Fuqua, 2018)

Extraction (Sam Hargrave, 2020)

6 Underground (Michael Bay, 2019)

City Lights (Charles Chaplin, 1931)

Greed (Erich von Stroheim, 1924)

Le diable probablement (Robert Bresson, 1977)

Hotel Monterey (Chantal Akerman, 1973)

La région centrale (Michael Snow, 1971)

Sleep (Andy Warhol, 1964)

Film socialisme (Jean-Luc Godard, 2010)

Blue (Derek Jarman, 1993)

Superstar: The Karen Carpenter Story (Todd Haynes, 1988)

Le camion (Marguerite Duras, 1977)

The Apartment (Billy Wilder, 1960)

American Gigolo (Paul Shrader, 1980)

In girum imus nocte et consumimur igni [We Turn in the Night, Consumed by Fire] (Guy Debord, 1978)

Nouvelle vague (Jean-Luc Godard, 1990)

Screen Tests (Andy Warhol, 1964-1966)

Paul Swan (Andy Warhol, 1965)

L’heure d’été (Olivier Assayas, 2008)

Doubles vies (Olivier Assayas, 2019)

Safe (Todd Haynes, 1995)

Far from Heaven (Todd Haynes, 2002)

Letters from Home (Chantal Akerman, 1977)

Saint Laurent (Bertrand Bonello, 2014)

Nocturama (Bertrand Bonello, 2016)

Gruppo di famiglia in un interno [Conversation Piece] (Luchino Visconti, 1974)

Livre d’image (Jean-Luc Godard, 1975)

Law & Order: Special Victims Unit (Dick Wolf, 1999–) – 478 episodes

Dumbo (Walt Disney, 1941)

Lady and the Tramp (Walt Disney, 1955)

Bambi (Walt Disney, 1942)

La prochaine ‘Spectatrice parmi d’autres’ est cinéaste Rebecca Jane Arthur.

 

Images (1) et (2) de Friends (David Crane & Marta Kauffman, 1994-2004)

Images (3) et (4) de Numéro deux (Jean-Luc Godard, 1975)

Images (5) et (6) de When Harry Met Sally (Rob Reiner, 1989)

Images (7) et (8) de Naruto (Masashi Kishimoto, 2002-2007

 

Ce texte fait partie de la recherche doctorale menée par Herman Asselberghs au sein de l'Intermedia Research Unit de la LUCA School of Arts.

CONVERSATION
02.09.2020
NL FR EN
In Passage, Sabzian invites film critics, authors, filmmakers and spectators to send a text or fragment on cinema that left a lasting impression.
Pour Passage, Sabzian demande à des critiques de cinéma, auteurs, cinéastes et spectateurs un texte ou un fragment qui les a marqués.
In Passage vraagt Sabzian filmcritici, auteurs, filmmakers en toeschouwers naar een tekst of een fragment dat ooit een blijvende indruk op hen achterliet.
The Prisma section is a series of short reflections on cinema. A Prisma always has the same length – exactly 2000 characters – and is accompanied by one image. It is a short-distance exercise, a miniature text in which one detail or element is refracted into the spectrum of a larger idea or observation.
La rubrique Prisma est une série de courtes réflexions sur le cinéma. Tous les Prisma ont la même longueur – exactement 2000 caractères – et sont accompagnés d'une seule image. Exercices à courte distance, les Prisma consistent en un texte miniature dans lequel un détail ou élément se détache du spectre d'une penséée ou observation plus large.
De Prisma-rubriek is een reeks korte reflecties over cinema. Een Prisma heeft altijd dezelfde lengte – precies 2000 tekens – en wordt begeleid door één beeld. Een Prisma is een oefening op de korte afstand, een miniatuurtekst waarin één detail of element in het spectrum van een grotere gedachte of observatie breekt.