Fantômas I

(1) Monsieur Fantômas (Ernst Moerman, 1937)

 

Le respect de la mort s’en va chez les spécialistes.

Fantômas, poète édité à frais d’auteur,

Est un Centaure qui s’ennuie

De ne pouvoir descendre de cheval.

 

Il ne suffit pas de sourire

Pour ne pas être condamné,

Et si parfois les nuages se trompent de neige,

La neige, elle, se trompe d’ennemis.

Tout le surréalisme est au service de Fantômas.

C’est le seul être au monde avec qui

J’aurais aimé me faire photographier à la foire.

Vraie patrie de l’enfant qui s’éveille,

Il est le plus court chemin de la vie dangereuse

A la dernière grimace du supplicié.

 

Tous les soirs il s’habille pour mourir

Mais un orchestre entier ne peut périr d’un seul coup.

 

Fantômas luit sur mon enfance

Comme un éclairage sans pitié

Pour mes rides d’enfant.

Il lui suffit de paraître et Sitting Bull,

Nick Carter, Nat Pinkerton, Morgan le Pirate,

Buffalo Bill et Lord Lister furent effacés,

Taches légères dissoutes dans l’éther.

 

Seuls nous donnaient le vertige,

La fenêtre ouverte sur Fantômas

Et les dessins de Benjamin Rabier,

Qui peint la nature comme elle devrait être.

 

Fantômas m’apprit à mentir sans besoin

Et à dire que 2 + 2 = 5

Alors que je savais très bien

Que 2 + 2 = 3.

Par ses soins, dans mes veines gelées,

Le sacrilège célébrait l’office du froid.

Il m’apprit la haute leçon de morale,

Du poivre jeté dans les veux d’un ennemi.

 

Il m’apprit à me rendre méconnaissable

Aux yeux mêmes de mon propre miroir,

Et à me méfier de cette femme ridicule

Qu’on me présenterait dans le monde : Madame Fantômas.

Quand j’étais sage, il me donnait une image

Que je mettais dans ma tirelire.

Je ne l’ai ouverte qu’aujourd’hui.

 

Aujourd’hui Fantômas n’est plus qu’un orage qui s’éloigne

Ses yeux sont fermés pour cause de décès.

Criminel dissimulé dans sa propre ombre,

Fantômas est mort avant d’avoir pu être rejoint.

Néanmoins

Son vieil ennemi le policier Juve veillait.

Soigneusement grimé, il s’était fait la tête

De l’Eternité ; ce n’était pas trop pour vaincre

Enfin l’Inconnaissable, l’Insaisissable,

Le Roi de l’Epouvante, la Silhouette du Crime.

Fantômas revint un jour dans le boudoir

Où se brûlant les mains, il déroba

Le diadème de Sonia Daniderff.

Juve depuis trente ans l’y attendait.

Ses cheveux avaient à peine blanchi.

Seules les tempes grisonnaient.

Minute solennelle : le Temps Perdu

Rencontrait enfin le Roi du Crime.

Arrêtez-le, cria Fantômas, je suis Juve

C’est lui Fantômas, et Juve-Fantômas

Fut arrêté, emprisonné, jugé, exécuté.

Pendant que Fantômas-Juve ricanait

Et disparaissait une fois de plus dans les Ténèbres.

 

Fatigué des hommes que le sommeil aveugle,

Fantômas s’en prit aux astres, aux fleurs, à la nuit.

Il brouilla tout dans le Ciel, offrit la Croix du Sud

A la Reine des Poisons qui s’en fit un cerf-volant.

Il était à l’aise dans l’azur,

Car Fantômas placé sur un nuage

Subit une poussée de bas en haut

Égale au volume de soleil déplacé.

 

La Mer du Nord pour échapper à sa poursuite

Dut se déguiser en brouillard.

 

Elle se fit passer pour la Tamise,

Et Fantômas se trompa de Londres.

Pour avoir osé lui mentir sur les marées,

Le soleil périt sur un bûcher.

Les étoiles privées de dessert,

Ne purent communiquer que par signes.

La cime du grand canyon du Colorado,

Invitée à une surprise-party

Ne retrouva plus sa tête au vestiaire.

 

Il eut tort de croire une toile d’araignée,

Et mourut noyé dans le Ciel.

 

Fantômas, monde perdu dans l’espace,

Baiser de forçat, mystère du diamant,

Ventre sournois des violes,

Capitale de la fausse barbe,

Pavé poussé entre les herbes,

Cuivre blanc des carrousels salons,

Chapeau haut-de-forme braqué sur l’infini,

Image perpendiculaire à notre jeunesse,

Parricide mort au champ d’honneur,

Fantômas qui êtes aux Cieux

Sauvez la Poésie.

(2) Monsieur Fantômas (Ernst Moerman, 1937)

Fragment du 'Fantômas 33' (1933). Ce texte a été publié dans Œuvres poétiques (Bruxelles : André de Rache Éditions, 1970).

Un grand merci à Gerald Purnelle et ULiège.

 

Ce texte est publié à l'occasion de Seuls : Short Work 2’, ce soir à 19h30 sur Avila. Plus d’informations au sujet de la projection ici.

ARTICLE
14.04.2021
FR
In Passage, Sabzian invites film critics, authors, filmmakers and spectators to send a text or fragment on cinema that left a lasting impression.
Pour Passage, Sabzian demande à des critiques de cinéma, auteurs, cinéastes et spectateurs un texte ou un fragment qui les a marqués.
In Passage vraagt Sabzian filmcritici, auteurs, filmmakers en toeschouwers naar een tekst of een fragment dat ooit een blijvende indruk op hen achterliet.
The Prisma section is a series of short reflections on cinema. A Prisma always has the same length – exactly 2000 characters – and is accompanied by one image. It is a short-distance exercise, a miniature text in which one detail or element is refracted into the spectrum of a larger idea or observation.
La rubrique Prisma est une série de courtes réflexions sur le cinéma. Tous les Prisma ont la même longueur – exactement 2000 caractères – et sont accompagnés d'une seule image. Exercices à courte distance, les Prisma consistent en un texte miniature dans lequel un détail ou élément se détache du spectre d'une penséée ou observation plus large.
De Prisma-rubriek is een reeks korte reflecties over cinema. Een Prisma heeft altijd dezelfde lengte – precies 2000 tekens – en wordt begeleid door één beeld. Een Prisma is een oefening op de korte afstand, een miniatuurtekst waarin één detail of element in het spectrum van een grotere gedachte of observatie breekt.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati once said, “I want the film to start the moment you leave the cinema.” A film fixes itself in your movements and your way of looking at things. After a Chaplin film, you catch yourself doing clumsy jumps, after a Rohmer it’s always summer, and the ghost of Akerman undeniably haunts the kitchen. In this feature, a Sabzian editor takes a film outside and discovers cross-connections between cinema and life.
Jacques Tati zei ooit: “Ik wil dat de film begint op het moment dat je de cinemazaal verlaat.” Een film zet zich vast in je bewegingen en je manier van kijken. Na een film van Chaplin betrap je jezelf op klungelige sprongen, na een Rohmer is het altijd zomer en de geest van Chantal Akerman waart onomstotelijk rond in de keuken. In deze rubriek neemt een Sabzian-redactielid een film mee naar buiten en ontwaart kruisverbindingen tussen cinema en leven.