In this documentary film, Chantal Akerman interviews her mother, and other elderly women who survived the Shoah. It was commissioned for French television and has been shown only a handful of times during selective retrospectives.
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« Dis-moi, ou plutôt Dites-moi, tant Chantal Akerman semble prendre à la lettre l'intitulé de la série télévisée proposée par Jean Frapat, « Grand-mères », au pluriel: il ne s'agira pas d'aller filmer sa grand-mère pour parler de ses affaires familiales, pour se dire (« dis-moi »), mais d'un même mouvement de visiter et d'évoquer des grand-mères. Les trois entretiens se succèdent autour d'une figure absente, la grand-mère maternelle de Chantal Akerman, déportée lorsqu'elle avait trente ans.
Ces femmes ne sont pas choisies au hasard: juives, elles ont toutes l'expérience de la migration des pays de l'Est vers la France, et de la déportation. Mais le geste d'Akerman n'est pas générationnel, elle ne tente pas de dessiner le portrait de sa grand-mère à travers des trajets qui s'en approchent. Bien au contraire, elle ne cesse de brouiller les générations: les trois femmes n'ont pas le même âge, l'une semble même jeune pour être grand-mère, et les trois s'attardent dans leur récit sur des générations différentes. La première, juive polonaise, parle de ses petits enfants: « C'est très gai quand on a des enfants. » La seconde parle surtout de sa mère, « égarée » au retour d'Auschwitz: « J'ai eu envie d'avoir un million d'enfants pour effacer toute cette injustice (...) et j'ai eu un fils et j'ai vu que ma mère reprenait goût à la vie. » La troisième, la plus longuement rencontrée, parle surtout de sa grandmère, une sainte (« ça, c'étaient des grand-mères »): le jour de son enterrement le soleil brillait en plein hiver comme en été. Monter et descendre sans cesse l'échelle des généalogies, passer d'une génération à l'autre, avec pour seul souci la filiation, c'est ce que redouble encore la discussion discontinue entre Akerman et sa mère qui ouvre le film et l'accompagne sur la bande-son comme un fil rouge: à la question inaugurale « Dis-moi maman, quel souvenir tu gardes de ta mère ? », la mère répond en évoquant sa propre grand-mère qui l'a recueillie au retour des camps. La voix-off de la mère, montée sur les images d'appartement, participe de la confusion et de l'identification des grand- mères entre elles : pendant que l'une attend silencieusement à sa fenêtre ou cuisine à contre-jour, la mère évoque la chaleur du foyer de sa propre grand-mère. La parole produit une grande communauté exclusivement féminine, rassemblée par l'amour des aïeules et des enfants, et nécessairement, puisque cette histoire-là, particulière, s'organise autour des camps, par l'absence et la survivance à une famille disparue. »
Stéphane Delorme1
- 1Stéphane Delorme, "Aujourd'hui, dis-moi par Stéphane Delorme", dans Chantal Akerman: Autoportrait en cinéaste (Paris: Éditions du Centre Georges Pompidou/Éditions Cahiers du cinéma, 2004), 186.