« Tu te prends pour Charles Quint ? (Charles Quint avait organisé une répétition générale de son enterrement, commandant spécialement une musique pour la circonstance. Ayant pris froid pendant ces répétitions, il meurt quelques semaines plus tard). Ou pour Molière? (qui meurt en scène en jouant son Malade imaginaire). »
Extract of project description by Boris Lehman
« Nul n’enterrera Boris Lehman, ni vivant ni mort. Il est présent à jamais au sein des populations sédentaires et migrantes. Son visage est au cœur des tempêtes et dans l’œil des cyclones. Ce qu’il voit, il nous le montre. Ce qu’il sent, il le désigne. Ce qu’il écoute, il nous le fait entendre et sa voix résonne à nos oreilles rendues à leur sensibilité native. Il bouge parmi nous, parmi vous et trace son chemin au milieu des foules des vivants et des macchabées. Il visite nos maisons et en ouvre grand les portes et fenêtres. Il écarte, par la force de sa pensée, les pierres tombales, aère les catacombes et discourt sur les catafalques, les places, les terrasses et les toits. Il corrige les épitaphes, parfait les vies antérieures qu’il peuple d’enfants, d’oiseaux et de scarabées. Il est le marabout sur un pied, le Maître du Bon Nom, le Khazar disparu ou intégré dans la masse humaine, humble et omniprésent parmi les espèces végétales et animales, rameau, nervure, artère des innombrables ramifications, pensant sa naissance, sa vie, sa mort, sa renaissance à chaque seconde de son existence, se préparant au trépas comme on prend un bateau, luttant avec Charon et jouant avec Aphrodite, et voyageant d’un pôle à l’autre avec à la main la mince valise contenant ses biens d’ici-bas et de là-haut. »
Eugène Savitzkaia1
« C’est très exactement ce que vient nous rappeler la lecture, dans la première partie du film, du testament de Kafka, en fait une courte lettre qu’il adresse à son ami Max Brod : « Voici, mon bien cher Max, ma dernière prière : Tout ce qui peut se trouver dans ce que je laisse après moi (c’est à dire, dans ma bibliothèque, dans mon armoire, dans mon secrétaire, à la maison et au bureau ou en quelque endroit que ce soit), tout ce que je laisse en fait de carnets, de manuscrits, de lettres, personnelles ou non, etc. doit être brûlé sans restriction et sans être lu, et aussi tous les écrits ou notes que tu possèdes de moi ; d’autres en ont, tu les leur réclameras. S’il y a des lettres qu’on ne veuille pas te rendre, il faudra qu’on s’engage du moins à les brûler. A toi de tout cœur ». Max Brod, exécuteur testamentaire, comme on le sait, n’en fit rien. Un siècle ou presque plus tard, Boris Lehman exécute devant la caméra le geste demandé par Kafka. Champ/contre-champ : les écrits de Kafka brûlent dans un grand feu devant le regard du cinéaste. Ce qui aurait pu être, ce qui n’a pas été. Séquence qui (re)lance le film : désormais, après avoir brûlé ses vêtements, les vêtements portés dans tous les films précédents, vêtements du personnage de cette vie faite film, Boris se cache les yeux : « J’ai commis l’irréparable ». »
Gérald Collas2